Déjà enfant son
destin est bien déterminé: " Un jour dans sa ville de
Baroda, des garçons jouaient au bord de l'étang; et au bord
de l'eau il y avait plusieurs idoles Hindous; les enfants qui
étaient Musulmans n'avaient pas de respect pour les dieux sacrés
des Hindous, s'amusaient à sauter dessus.
-Ne
faites pas ça! dit Inayat.
-Pourquoi
non? répondirent les autres, elles ne sont pas notre Dieu!
-Non,
elles ne sont pas notre Dieu; riposta Inayat mais elles sont
les Dieux des autres.
Lorsque le moment fut venu, beaucoup plus tard, de former les
principes de l'organisation du mouvement Soufi en Occident, il le
basa sur ce principal point, pour réaliser et diffuser la
connaissance de l'Unité: la religion d'Amour et de sagesse, ainsi
le biais des Fois et des croyances tombera. Le coeur de l'homme débordera
avec l'Amour et alors toutes la haine que les distinctions et
les oppositions occasionnent disparaîtront d'elles-mêmes.
C'est à Baroda que Inayat enfant apprit un autre
principe qui devint plus tard le centre de son enseignement. Dans la
profonde Inde mystérieuse, avec les Yogis et les Sages se développe
la tendance de "Vairagya" : vie de solitude et d'ascétisme
dans les forêts et les caves; cette tendance était fortifiée par
la nature très mystique et très spirituelle. Mais chez Inayat
son grand principe soufi, à son sens, était que la voie de l'ascétisme
est sans valeur, et que la vie dominante se trouve être dans ce
monde et cependant au dessus du monde. Il réalisa que celui qui
pense profondément à la vie et assiste son frère est davantage
dans la voie réelle que celui qui habite la forêt et pense à
lui-même. Que la beauté de l'existence est dans l'expression de
l'amour envers l'homme, dans son service, dans l'union avec lui et
non pas en quittant le monde pour se cacher dans une cave. Qu'en
effet le monde est créé pour un but, et que ce but à réaliser
est de vivre pour toutes les créatures en les aimant, ainsi on vit
pour Dieu en L'aimant.
La première connaissance en la Vérité lui vint un soir. L'enfant Inayat
fait la prière sur la terrasse de sa demeure, lors qu'il pense que
jusqu'à ce jour il n'avait pas de réponse à ses prières et qu'il
ne connaissait pas le Dieu, ne savait pas où Il était. Ne pouvant
continuer ainsi il s'en fut trouver son père:
-Je crois que je ne continuerais pas les prières, dit-il, car ce
n'est pas raisonnable de prier un Dieu qu'on ne connaît pas.
Le père heureux de la pensée de son jeune fils pour connaître la
Vérité, lui fit une réponse soufi car il était un "Mourid
Allah":
-Le
Dieu est en vous, et vous êtes en Dieu, comme la bulle est à l'Océan.
La bulle n'est pas séparé de l'Océan. Pour un instant elle est
apparue comme bulle, mais retournera d'où elle est venue. Ainsi est
la relation entre l'homme et Dieu.
Dieu dit dans le Coran, qu'il est plus près de vous que l'artère
carotide. Cela signifie en vérité que votre corps est plus loin de
vous que l'est Allah. Que Dieu est la vraie profondeur de vous même.
Dès cet instant Inayat consacra sa vie entière à examiner
et à chercher, ce en quoi il a connu et a cru en cette seule et
grande vérité.
A
dix-huit ans il était un musicien habile et un croyant profond dans
la mission mystique de la musique. Il a fait le grand tour de l'Inde
et a gagné une connaissance et un succès auprès des foules et des
Rajahs. Il vécut un long temps avec un maître soufi, un descendant
direct du Prophète, un homme qui vivait une vie simple et sage, le Cheikh Sayed Mohammed Abu Madani.
Il commença son travail d'élévation par la musique. Sur son
instrument "Vina" il présenta des "Samaâ" de
mystiques. D'abord aux Indes, ensuite en Europe, enfin en Amérique,
il réalise l'importance, la nécessité de présenter la voie soufi
au Monde Occidental.
L'Inde l'honora au titre le plus élevé de "Tansen":
c'est-à-dire le chanteur mystique de la cour de l'empereur Akbar dans les temps anciens.
Un jour Akbar dit à Tansen, après avoir entendu un
chant qui lui plut beaucoup:
-Vous
chantez toujours admirablement bien, où avez-vous appris cet
adorable chant?
-Je le tiens de
mon Maître, répondit Tansen.
-Où
est-il votre Maître?
-Il
habite loin d'ici, je ne sais où.
-Oh!
vous chantez merveilleusement bien, continue l'empereur. Votre Maître
peut-il chanter aussi bien que vous?
-Comme
chanteur mon Maître est si grand que je ne peux mentionner son nom.
Très intéressé Akbar insiste.
-Je
voudrais bien l'écouter chanter, voulez-vous que nous allions le
chercher?
-Oui, mais j'ai peur
qu'il ne veuille pas chanter devant l'Empereur, si nous le trouvons.
-Alors,
dit Akbar , je vous accompagnerais comme serviteur.
-Ainsi,
c'est possible, répondit Tansen.
Par intuition, ils trouvèrent très loin dans la montagne le sage
musicien en méditation. Celui-ci connut par la voie de son âme,
que par humilité le roi est venu en domestique et cela lui plut
beaucoup.
Le Maître
chanta, Akbar et Tansen se perdirent en félicité
Divine. Au retour en eux-même, ils ne virent plus le Maître.
-Où
est-il? demanda Akbar
-Il
est sorti, il ne reviendra pas.
Ils revinrent au palais.
Un jour l'Empereur appela Tansen et lui parla:
-J'ai
la nostalgie et le grand besoin d'écouter votre Maître chanter
encore.
-C'est impossible de le
rechercher maintenant.
-Mais,
supplie le roi, j'ai le désir ardent, une grande inquiétude, je
veux écouter cette voix encore. Savez-vous la "Raga"
qu'il chante?
-Oui.
-Voulez-vous
chanter? Je vous en prie.
Tansen chanta.
-Oui
c'est la même "Raga" mais elle ne vibre pas des mêmes
accents. Pourquoi?
-C'est parce
que je chante devant vous, Empereur, et que mon Maître chante
devant Dieu.
Tansen partit, il quitta l'Empereur et la cour. Comme son Maître il
s'en fut chanter à Dieu.
Une fois un "Guru" (maître mystique) lui a demandé ce
qu'il pensait de la réincarnation, car il n'avait jamais trouvé
son enseignement chez les Soufis. Il a ajouté qu'il ne pouvait pas
comprendre que les grands maîtres Soufis aient négligé cette idée.
Est-ce que les Soufis ont la croyance de la réincarnation?
-Oui
les Soufis connaissent le problème, répondit Inayat Khan ,
mais il ne les intéresse pas. Le travail principal du Soufi est de
nier sa personnalité limitée, et l'affirmation de l'existence
seule de Dieu. Avec cela l'ego faux s'évanouit, et le vrai ego, le
Divin en l'homme s'élève et se découvre. En ce but est le premier
objectif de la création, je pense, ajouta-t-il que ce qui est passé
et connu, n'a pas de grande valeur. Que ce qui viendra et inconnu,
est un tourment pas très nécessaire pour le présent. Mais ce
moment ci est très important, et s'il est vécu comme il faut. A
quoi bon désirer autre chose? Chez les Hindous, a continué Inayat
Khan , la croyance en la réincarnation prévaut et cependant le
principe le plus grand du "Védanta", de qui toutes les
croyances différentes des Indes dérivent est "Adwaïta"
ou "pas de dualité" en un mot "Unité".
Alors, conclue Inayat Khan , permettez que je demande, quel
est l'enseignement le meilleur du principe du "Védanta":
le pensant à la doctrine de réincarnation, ou le désintéressement?
Inayat est venu aux Etats-Unis en 1910, pour accomplir sa
mission de révéler à ceux qui cherchent la Vérité,
la Voie Soufi.
Ces premiers buts étaient:
1°/
D'établir une confrérie d'hommes sans considération de caste, de credo, de race, de nation ou de religion, car les différences ne
créent pas non seulement la discorde, mais elles sont la source de
toutes les misères.
2°/
Diffuser la connaissance Soufi au monde de l'Ouest qui lui était
cachée et qui en réalité est la propriété de tous les hommes et
non une particularité propre à une race ou à une religion.
3°/
Assister les hommes en les gagnant vers la perfection et en quoi le
mysticisme n'est plus un mystère, mais il rachète l'incrédule de
l'ignorance et évite au croyant de tomber, victime de l'hypocrisie.
3°/
Harmoniser l'Est et l'Ouest , par l'échange de connaissance, et créer
une renaissance vers l'Unité.
4°/Diffuser,
intéresser la lecture Soufi, presque inconnue, et pourtant très
belle et très instructive en Vérité sur tous les aspects de la
connaissance.
Voyageant de nation en nation, parlant et donnant l'enseignement, il
a établi en 1923 une organisation très grande dont le
centre international se plaça à Genève (Suisse). On
lui demandait souvent: "Quel est la différence entre les
Soufis et les autres religions ? " et à lui de répondre :
"La différence est , que le Soufi rejette toute différence".
Ayant exprimé sa conception sur les relations des Prophètes ( Que
la grâce de Dieu soit sur eux) une dame se plaignit un jour des idées
du Cheikh.
-Je
crois, dit la dame, que Jésus est le fils de Dieu et notre sauveur,
et qu'il faut enseigner sa religion au monde païen. Maintenant je
comprends que vous considériez que tous les Prophètes soient égaux.
-Je
n'ai jamais dit que tous les Prophètes soient égaux, je dis que je
ne me considère pas comme leur égal pour les juger, suivant la
parole de Jésus:" Ne jugez point". Ainsi tout simplement
j'incline ma tête en toute humilité.
L'enseignement le plus puissant fut peut-être exprimé par sa
parole à la radio de New York à deux millions de personnes la nuit
de Noël 1925:
"Quel
enseignement donner aux générations futures?" dit-il.
L'anoblissement
de l'âme, la largesse d'esprit sur la vie, l'élévation de
conscience.
Et
que deviendront-elles?
Pas
des ascètes, pas des orthodoxes, pas des bigots de religion, mais
des âmes de conscience de la confrérie des hommes, qui oeuvrera
pour le plaisir ou le déplaisir de Dieu, non pour le plaisir ou le
déplaisir de l'homme.
Leur
lutte , à ces âmes, ne sera pas la lutte pour le trésor du monde.
Leurs
mentalités penseront, leurs coeurs sentiront , leurs âmes verront
la vie de l'intérieur et la vie de l'extérieur.
Seront-ils
les peuples du monde, seront-elles les âmes célestes? Ils seront
les deux.
Ils
donneront au monde ce qu'il faut donner au monde, et donneront à
Dieu ce qu'il faut donner à Dieu.
Il
faut que le jour vienne où les suivants des religions différentes,
comme les Chrétiens, les Musulmans, les Hindous, les Juifs, sentent
en eux la place de la prière des autres, comme dans leur temple.
Disant à l'égal du Soufi:
"Une
église, un temple, ou une pierre de la Kaâba, le Coran, la Bible
ou l'os d'un martyr. Tous cela et plus encore, mon coeur peut tolérer.
Depuis que ma religion, maintenant n'est que l'Amour."
Après avoir donné avec succès le message Soufi au monde
occidental, Inayat Khan s'en fut finir ses derniers jours à
Delhi.
Pendant les deux derniers jours, écrit un ami, il était
inconscient du monde d'ici, il ne parlait plus, mais sa belle figure
était illuminée.
Le corps est enterré près du tombeau du grand saint Soufi: Chisti
Nizam-U-Din Oulia.
On dit que pendant les dernières heures de Inayat Khan
, la chambre était envahie d'un parfum de roses invisibles. Sans
doute, était-ce les roses du jardins de Sa'di: "pétales que
la main rude de l'automne ne peut affecter, et la légèreté de son
printemps éternel, que nulle révolution de saison ne peut
changer".
Ce sont les symboles pour nous d'une douceur d'âme jamais surpassée
et d'un courage splendide qui force à l'admiration.
"Tout disparaît quand la pensée du bien-aimé
occupe l'âme de l'amoureux
Le bien-aimé est tout en tous, l'amoureux
n'est plus qu'un voile pour Lui
Le bien-aimé est tout ce qui vit,
l'amoureux n'est qu'une chose morte".
T.REINDOLLAR