El
Morchid n°3/Octobre 1946
El 'Imara (La danse
extatique)
J'interrogeais
le vénéré Cheikh Sidi Adda sur la "Imara" , il me
répondit:
Tu m'as demandé, ô frère, si la "imara", qui est
une sorte de danse liturgique pratiqué par les Soufis, tire
son origine du Livre (Coran) ou de la Loi traditionnelle du
Prophète.
A ce sujet, sache, ô mon frère, que dans le çahih (recueil de
hadiths) de Moslim, il est rapporté que Aïcha, (que Dieu soit
satisfait d'elle) fit la relation suivante: " Un groupe de
guerriers originaires de l'Éthiopie était venu un jour de
fête à la mosquée. Ces hommes psalmodiaient en exécutant des
mouvements cadencés. Le Prophète (sur Lui la prière et la paix)
m'appela. Je posai ma main sur son épaule et je suivis du regard
leurs évolutions. Pendant ce temps, le Prophète leur disait:
Continuez, Beni Arfada."
Les mouvements cadencés dont il est parlé dans ce hadith ne sont
pas autre chose que ce que dans le langage courant on appelle la
danse et en fait, les éthiopiens dansaient devant le Prophète (sur
Lui la Prière et la Paix) qui loin de les désapprouver, les
encourageaient par ces mots "Continuez Beni Arfada".
On sait que notre seigneur Djaffar Ben Abi Taleb étant un
jour allé trouver le Prophète, celui-ci lui dit: "Tu me
ressemble au physique et au moral" Djaffar , que ces mots
avaient inondé de joie, se mit à danser devant le Prophète, qui
ne lui fit aucun blâme.
Anas rapporte: "Nous étions chez le Prophète (sur Lui la
Prière et la Paix) lorsqu'il fut visité en esprit par l'ange
Gabriel qui Lui dit : " O Prophète de Dieu, les pauvres de ton
peuple précèderont les riches en paradis de 500 ans (ce qui pour
Dieu est une demi-journée)". Le Prophète manifestant sa joie,
nous demanda :" Qui de vous peut nous dire des vers?"
Badri s'étant proposé, le Prophète l'invita à déclamer; ce que
fit Badri en ces termes:
Le
serpent d'amour a mordu mon cœur.
Il
n'est pour le guérir ni médecin ni remède.
Seul
l'objet de mon amour et de ma peine
Porte
en lui sa magie et son déclame.
Et tandis que le poète récitait,
le Prophète, avec ses compagnons scandaient les vers en s'agitant
en cadence au point que son manteau glissa de son épaule. Puis
chacun ayant repris sa place Moaouïa dit au Prophète : "
que ce divertissement était beau!" Et le Prophète lui dit :
" Tais- toi, tais-toi Moaouïa ! celui qui resterait fermé à
l'évocation d'un ami n'aurait pas l'âme généreuse".
Les assistants se partagèrent le manteau du Prophète après
l'avoir coupé en 400 morceaux.
Si l'on considère ces mots " il scanda les vers avec des
mouvements cadencés au point que son manteau (rida) glissa de son
épaule", il faut bien admettre que les mouvements du Prophète
étaient près de ressembler à ceux des danseurs liturgiques
puisqu'ils provoquèrent la chute de son manteau.
Le Prophète (Sur Lui la Prière et la Paix) a dit aussi : " Ce
sont là des pratiques outrées où des êtres exceptionnels vous
ont précédés" . Et comme on demandait au Prophète quels
étaient ces êtres exceptionnels il répondit : " Ce
sont des mystiques de l'invocation de Dieu. Le mysticisme est un
état d'âme qui fait perdre à l'homme le contrôle de ses gestes
et le met dans une extase extravagante". Mais cet état
que nous révèle le hadith du çahih ne se conçoit pas et n'est
admissible que pour l'invocation de Dieu et c'est ce que nous
appelons du nom de -'Imara-
Je dois ajouter que les Soufis ne pratiquent la 'imara que
lorsqu'ils y sont sollicités par la nécessité d'appeler la
bénédiction de Dieu. Ils la pratiquent encore pour exalter en eux
l'incantation de la poésie dont ils parviennent ainsi à
s'assimiler la plus secrète substance.
Ils restituent alors à la poésie, par le charme de cette
déclamation, toute son expression transcendante et sublime.
Sur qui n'a jamais ressenti ce souffle divin, il convient de
pleurer. L'un de ces poètes ( que Dieu soit satisfait d'eux)
n'a-t-il pas dit?
Il
peut pleurer sur lui; celui qui a gaspillé sa vie sans rien avoir
gardé de son âme..."
Et je pleurais sur moi
d'avoir gaspillé ma vie de n'avoir rien gardé de mon âme. Il est
vrai que j'étais loin de me douter qu'après deux mois de
résistance au sein des Alaouis, je m'élancerais à mon tour dans
cette - 'Imara- si combattue.
Cette première danse je veux s'il plaît à Dieu vous en décrire
son goût, son charme; les impressions ressenties; douceur, repos,
quiétude, joie du secret qu'elle révèle.
Restons aujourd'hui sur les arguments irréfutables qui
n'ébranleront pas les idées toutes faites, mais qui restent utiles
pour ceux qui impartialement veulent connaître. Ces arguments je
les ai retournés dans tous les sens, pour leur trouver le point
faible, il en est un qui persiste en moi, c'est celui qui est
rapporté dans le dernier hadith; "Puis chacun ayant repris sa
place, etc..."
Puisque chacun doit reprendre sa place il est permis de penser que
pendant que le Prophète et ses compagnons scandaient les vers en
s'agitant en cadence, ils avaient perdus leur place.
Avaient-ils tournés? avaient-ils fait cercle autour du
Prophète?...
Dans tous les cas cela ressemble
terriblement à une - 'Imara - qui n'est pas désavouée par
le Prophète, (sur Lui le Salut) puisqu'il ajoute : " Ce
sont des pratiques outrées où des êtres exceptionnels vous
ont précédés"...
O mon âme loue Allah!
Loue-Le à la face du monde!
IZARD Alphonse dit
Abdellah REDHA
Sculpteur- Oran-