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Au nom de Dieu le Clément le Miséricordieux  
(Deuxième Partie)

Message du Cheikh Khaled Adlen Bentounès adressé a l’occasion de la célébration du cinquantenaire du Cheikh Adda Bentounès 30 et 31 octobre 2002

( Cheikh Adda BENTOUNES)

à travers ses  œuvres et les témoignages vivants d’écrivains, hommes de presse, hautes personnalités, et de ses contemporains parmi ses disciples et amis.

Présentation du livre

 

« Je suis un de la fraternité »

Cheikh Hadj ‘Adda Bentounès

Par

Le Cheikh BENTOUNES

 

Décrivant une de ces rencontres, le correspondant du journal « l’Echo d’Oran » de septembre 1950, relate : « Depuis plusieurs jours, notre ville connaît une affluence inaccoutumée. Des musulmans sont rencontrés journellement qui parlent avec un accent différent de la région. Renseignements pris, il s’agit de pèlerins venus de Melilia, d’Oujda, de Tlemcen. La confrérie des Allaouias, qui compte une centaine de milliers d’adeptes disséminés à travers toute l’Afrique, tient son congrès annuel. » 

Le journaliste précise : «  M. Lemoine, maire et délégué à l’Assemblée Algérienne, se déclare heureux comme chaque année de constater la simplicité du Cheikh hadj  ‘Adda dont on sent la sincérité et la noblesse de ses paroles » et le maire ajoute en s’adressant au Cheikh : « la pratique de vos préceptes et les vertus essentielles que vous inculquez à vos disciples sont de nature à réjouir nos cœurs et nos aspirations légitimes. » Ainsi chaque année les notables de la ville, sans distinction de race et de religion, venaient témoigner leur sympathie au Cheikh.

Par ailleurs, certains représentants de l’administration coloniale ne voyaient à travers ces manifestations spirituelles, qu’un moyen détourné pour éveiller les masses et les mobiliser au service du mouvement nationaliste. Le général P.J. André, de l’Académie des Sciences Coloniales, marqué par l’esprit qui régnait à l’époque, décrit le cheikh comme un personnage suspect : « L’esprit de la confrérie Alaouia paraît avoir bien changé depuis la mort de son fondateur. Son successeur fut en définitive son fils adoptif Bentounès Adda lequel ne paraît avoir conservé que le spiritualisme de l’ordre, sans pouvoir continuer l’œuvre mystique du cheikh Ben Alioua. Il se rapprocherait semble t-il de la conception des Oulamas (note mouvement réformiste religieux apparu en Algérie comme dans le reste du monde musulman au début du XX siècle)) : créer des médersas, fonder des journaux en langue arabe, agir sur la masse musulmane pour la réveiller, la fanatiser au besoin, et faire naître en elle des sentiments de nationalisme.[1]»

Mieux encore un rapport anonyme, émanant des services des renseignements coloniaux, nous le présente comme un personnage dangereux : « Malgré ses médiocres moyens et son peu d’influence, il n’en n’est pas moins par son esprit sournois, intrigant et prétentieux, un personnage qui désire jouer un rôle ; il peut en effet faire beaucoup de mal, non pas certes auprès des intellectuels avec sa pauvre littérature, mais auprès des masses simples, ignorantes et naïves qu’il peut réveiller et fanatiser par la prédication qu’il préconise et par les centres qu’il a créés et qu’il créera encore partout où le milieu y sera favorable, car il est indiscutable que l’esprit de Adda Bentounès est nettement nationaliste ».  

 Dans le même registre, une note du Centre d’Information et d’Études du gouvernement général de l’Algérie daté du 5 janvier 1948 stipule : « Dès le mois de mars 1937, M. le Sous-Préfet de Mostaganem, adressant à M. le Préfet d’Oran la traduction d’une poésie que venait de composer le cheikh Adda Bentounés, écrivait dans un rapport annexe, que cette poésie marquait une «  tendance qui est celle   qu’affichait Benbadis Abdulhamid à ses débuts : nécessité pour les musulmans de s’instruire, de suivre scrupuleusement la religion…. De s’unir ». Parlant ensuite du cheikh, M. le sous-Préfet ajoutait : « … Son action dans les milieux indigènes où s’exerce son influence, doit être cependant surveillée de prés… »

En revanche le colonel Schoen (chef des services des liaisons Nord-Africaines au gouvernement général de l’Algérie) ne semble pas partager ces appréciations. Il écrit dans un rapport : « (…),  les dirigeants alaouia n’ont jamais adhéré à aucun parti politique, ni pris parti dans les élections, ni participé aux divers « congrès Maraboutiques » d’avant ou d’après guerre.

Ils n’ont adhéré ni à la « fédération des chefs de zaouïas d’Algérie », ni à celle des « chefs de zaouïas d’Afrique du nord » que présidait le cheikh KITTANI, de Fès, ni à celle des « chefs de zaouias du Maroc oriental » fondée en 1953 que préside le cheikh LAAREDJ, de Kenadza, et fit campagne contre l’Istiklal. Ils n’ont sollicité ni faveurs ni prébendes. Aucun représentant  des Alaouïa n’a participé à l’agitation menée naguère contre S.M. Mohammed V par le Glaoui et par le cheikh Kittani. Aucun d’eux n’assistait au Congrès Maraboutique de Fès en 1953.

Il s’agit, en bref, d’une confrérie nullement rétrograde, qui paraît animée  d’une ferveur religieuse sincère, étrangère aux choses de ce monde, et qui se tient en dehors de toute agitation, se distinguant par là de beaucoup d’autres confréries, et n’entretenant d’ailleurs aucun rapport avec elles. »

Paradoxalement les espagnols qui occupaient le nord du Maroc où la confrérie était largement répandue, suspectaient le Cheikh Hadj Adda d’être un agent de la propagande française contre les intérêts franquistes. Une note du consulat de France à Mélilia, adressée le 18 août 1945 à l’Ambassade de France à Rabat, signale : « J’ai l’honneur de faire connaître à Votre Excellence que les autorités espagnoles du Protectorat se montrent inquiètes de l’activité et des progrès de la secte « aliua », dans laquelle elles voient un instrument de propagande française.

En effet, dans un rapport en date du 1er de ce mois, le Délégué aux Affaires Indigènes rend compte au Général VARELA, de réunions, tenues les 28 et 29 juillet dernier, à Sidi Talha, par la secte susnommée. Ce fut, d’après le délégué, une véritable concentration des adeptes de toute la zone et les délibérations ont dû être d’importance car, ajoute-t-il, les dirigeants actuels obtiennent, depuis quelques temps, de nombreuses affiliations. »

Le délégué rappelle ensuite que « cette association a son siège à Mostaganem, qu’elle est d’origine française et que nos autorités en ont fait, dit-il, une arme politique dirigée contre le Protectorat espagnol.(…) »

Toujours d’après le même rapport, une personnalité musulmane compare  « la propagation en zone espagnole de la secte « aluia » à l’extension du communisme dans le monde. »

Durant son voyage au Maroc, après la seconde guerre mondiale, le Cheikh  vit sa visite auprès de ses disciples interdite par les espagnols, dans la zone marocaine qu’ils contrôlaient. En Angleterre la communauté yéménite, rattachée à la Tariqa était, elle aussi, suspectée d’œuvrer pour des intérêts étrangers, notamment anglais et égyptiens. D’ailleurs, Salah Khalifat[2], s’appuyant sur un rapport des liaisons Nord Africaines atteste que vers 1946, trois militaires anglais prirent contact avec le cheikh, en lui promettant une aide matérielle efficace, s’il prenait en considération les intérêts de la politique anglaise. Le Cheikh refusa. A la mort du Cheikh Alawî, l’influence de la tariqa au Yémen et en Angleterre fera qu’un moquadem devenu dissident de la confrérie à Cardiff, ‘Abd l-llâh ‘Alî l-Hâkimi, entièrement dévoué à la Grande-Bretagne suspecté d’être impliqué dans le meurtre de l’Imam Yahyâ du Yémen « ne jouissait plus de la confiance du Cheikh ‘Adda qui avait désigné pour le remplacer al-Hâjj Hasan Ismâ’il et Muhammad ‘Alî ‘Awdî al-Murâdi.[3] »

Un article  de la revue anglaise« Islamic revue »  d’Août 1952 met en relief l’importance de cette communauté : « En Angleterre, il existe une très importante communauté de Musulmans d’Aden-Yemen, qui appartient à l’ordre soufiste fondé par le cheikh Benalioua d’Algérie. Cette société a célébré sa fête annuelle (Ihtifal) les 9,10 et 11 Mai à Cardiff. Les cérémonies se déroulent sous la direction du Cheikh Hassan Ismail, qui fut secondé par M. NASSIR YAHIA (intendant) et M. Ali Basha (conseiller de la société).

La manifestation la plus marquante des trois jours de prières fut une procession autour du quartier musulman de Cardiff, et à cette émouvante cérémonie de nombreux musulmans des campagnes éloignées avaient été invités. Ils affluèrent en cars complets venant de Birmingham et d’autres villes importantes. Parmi eux se trouvaient des membres du Conseil Musulman, entre autres l’éditeur de « The Islamic review (la revue islamique), M. Ismail, de York (secrétaire du conseil) et le colonel Abdulhah Baines-Hewitt, un musulman anglais très connu. ». Le dynamisme et la taille de cette communauté étaient tels qu’elle sollicita de l’université El-Azhar en Égypte l’envoi d’une mission religieuse.  Le journal « El-Misri » du 11 mars 1952 écrit : « La Machyakha d’El-Azar,(assemblée des cheikhs théologiens d’El-Azhar),étudie avec beaucoup d’attention la requête de la colonie musulmane de Cardiff, requête réclamant à la célèbre université un professeur de théologie d’El-Azar pour la diffusion des principes de la culture et de la langue arabe. Cette région anglaise compte, parmi ses habitants, une colonie musulmane très importante. » cette demande souleva l’inquiétude du gouverneur général d’Algérie M.E. Naegelen qui demanda à l’Ambassadeur de France G. Arvengas de l’informer à ce sujet.

Celui-ci répondit par un courrier en date 28 Mai 1949 : 

 « Par lettre n° 853 du 13 avril, vous avez bien voulu me demander des renseignements sur les Alaouia. A ma connaissance, cette confrérie ne compte ici aucun membre, à l’exception du cheikh Hilali Ben Mohammed Amimour, uléma algérien bien connu de votre gouvernement général.

L’envoi d’un instituteur égyptien à Cardiff ne paraît donc pas répondre au désir du Gouvernement du Caire de renforcer son influence sur cette communauté religieuse. Il faut noter, d’ailleurs, que les confréries ont, en Égypte, un rôle moins important qu’en Afrique du nord. Cette mesure reflète plutôt les velléités d’expansion culturelle de l’Égypte qui, depuis un an notamment, a procédé à l’envoi d’assez nombreuses « missions » d’enseignement dans divers pays musulmans. »

 

Ces quelques rappels de l’histoire montrent le climat de suspicion et de pressions de toutes sortes  qui entourait, en permanence, le Cheikh Hadj Adda. Ni ces tensions, ni le diabète, qui rongeait la santé de ce maître  spirituel, ne semblaient perturber sa sérénité et sa volonté de répandre le message de tolérance, de fraternité et d’amour qu’il portait en lui.

Le journal le «  Phare de TUNIS » du 26 décembre 1952, à travers la plume de Mohamed Gaddas (délégué du congrès spiritualiste mondial) témoigne :

 « Depuis 1934, la confrérie connut un essor nouveau grâce au dévouement du Cheikh Sidi Hadj Adda Ben Tounès, qui se dépense sans compter pour enseigner ses disciples, leur donner des conseils quant à leurs obligations religieuses, ainsi  qu’à  celles s’attachant à la vie, à la fraternité humaine et à la haute spiritualité. Ici, en Algérie, tous ceux qui ont connu le Cheikh ou ses adeptes, sont unanimes à reconnaître ses qualités et sa noblesse. Il est à noter que le Cheikh jouit auprès des milieux Chrétiens d’une chaude sympathie, d’une vénération et d’une estime sans égales. Il reçoit ses visiteurs non musulmans avec courtoisie, respecte leurs convictions et leur démontre durant tout l’entretien, que la synthèse des religions est la meilleure base d’une fraternité durable. D’ailleurs sa renommée dépasse l’Afrique et l’Orient. D’Europe et d’Amérique, des dizaines d’illustres personnalités, ayant pris contact avec lui, embrassèrent la foi islamique. » et le journaliste d’interroger le Cheikh :

-             « Quelles sont vos théories »,

celui-ci répond :

-             « Notre théorie est le retour de l’humanité entière vers la fraternité et la paix par la culture de la bonne morale, ainsi que l’enseignement religieux de haute portée, jusqu’à faire revivre la réelle fraternité se trouvant endormie dans nos cœurs, comme le beurre dans le lait. Si les hommes se sont donnés la peine de se rappeler cette fraternité, « que le salut du Seigneur soit sur eux », tout différend disparaît alors et laisse place à l’amour et à la fraternité ; toute haine et querelle disparaissent et les gens vivront dans le bonheur que rien ne pourrait troubler. Telle est notre théorie ».

Dans sa thèse de doctorat d’état « Alawisme et Madanisme »,  l’historien Salah Khelifa nous fait part de toute la difficulté de l’héritage que reçut le Cheikh Hadj ‘Adda : « Mais cela fut loin d’être agréé par certains grands muqaddams. Toujours est-il qu’à la mort du Shaykh l-‘Alawi, un congrès réunissant tous les adeptes, présents au lendemain des obsèques, reconnut ‘Udda ibn Tûnis comme nouveau maître de la tarîqa Alawiya. Ces Légitimistes s’étaient fondés, dans leur choix, sur les liens de parenté que le Shaykh avait tissé avec le disciple, sur l’affection continue que le maître n’avait cessé de lui témoigner, sur sa volonté posthume de l’ériger gérant en chef des biens, meubles et immeubles de toute la confrérie (charge pour laquelle le Shaykh, fin psychologue, grand meneur, désigna son disciple le plus intègre) et enfin, pour ses qualités spirituelles qui lui permirent de gravir toutes les stations de la gnose (ma’rifa), ce qui le prédisposait à prendre en main les destinées de la confrérie ’Alawie.[4] »

Derrière ce mouvement de dissidence se glissait entre autre, la main de certains Etats. Dans un rapport confidentiel, sur la zone du Rif marocain sous autorité espagnole  de mai 1950, il est dit concernant la tariqa Alawiya : « Aussi ont-elles (les autorités)  essayé de provoquer des mouvements de scission au profit de moquaddems locaux, mais sans grand succès. Après la guerre, elles ont interdit, sous un prétexte futile, l’entrée du territoire au Cheikh BENTOUNES. »

Les propos de l’historien nous précisent que :, «Des difficultés de toutes natures allaient joncher la voie ‘Alawie a Shayh ‘Adda. Il dut non seulement affronter le vaste mouvement de dissidence qui se déclencha après 1934, mais aussi faire face à un véritable tollé de contestation  élevé par les héritiers théoriques du Shayh que les dispositions (testamentaires) de ce dernier avaient frustrés puisque tous les biens de la confrérie étaient déclarés inaliénables (habous) au profit du Ahl an-nisbah (les gens de la chaîne spirituelle). D’interminables procès furent donc intentés à l’encontre du Cheikh ‘Adda, dans le but avoué d’amener l’annulation du habous.»

Pourtant inlassablement notre Cheikh continua, malgré toutes les difficultés et les épreuves, à  développer l’héritage reçu de son maître. Dans ce sens, il fit reparaître le journal, en langue arabe, Lisan-ad-Din  d’abord à Alger ensuite à Mostaganem en 1937. Par cet organe, il diffusait et faisait connaître les principes et la doctrine du soufisme qu’il défendait contre les attaques virulentes des réformistes algériens.

    ( à suivre )

[1] Cf. Général P.J. André, Contribution à l’étude des confréries religieuses musulmanes, Alger, 1956, p. 260.

[2] Cf. Salat Khelifa, Alawisme et Madanisme, thèse de doctorat d’état, université Jean-Moulin, (Lyon III)

[3] Cf. Salat Khelifa, op. cit.

[4] Cf : Salah Khélifa, op. cit.

      

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